Aime Simone: "J'écoute "In This Dark Time", sous les bombes"
Le chanteur franco norvégien Aime Simone présente "REV", son troisième album. Il l'a défendu à "Sion Sous les Étoiles". Interview.

Il était en concert à "Sion sous les étoiles", le 17 juillet. On le présente comme un artiste singulier, aussi intense qu'insaisissable. Aime Simone a su imposer une esthétique qu'il qualifie lui-même de post-pop, une musique hybride, émotionnelle, viscérale aussi. On entend beaucoup de trap, de rock, d'électronique, de poésie, qu'on a envie de qualifier de romantique. Après deux albums marquants, "Say Yes, Say No" et "Oh Glory", il revient avec "REV", un projet conceptuel, audacieux aussi, qu'on pourra découvrir notamment le 7 novembre à la salle de l'Alhambra à Genève.
RadioFr: Aime, c'est à partir de l'âge de 18 ans que tu as commencé à parler de la musique. Tes parents n'étaient pas très chauds au début, comme on dit, même s'ils t'ont toujours soutenu. Mais toi, c'était vraiment la musique ou rien? Tu n'avais pas de plan B?
Aime Simone: J'ai mis du temps à le comprendre que c'était la musique que je voulais faire et j'ai commencé plus tôt à faire de la guitare, vers 12 ans à peu près. Et puis après, effectivement, comprendre que je voulais faire de la musique, ça, c'est venu plus tard.
RadioFr: La musique fait partie de ton ADN aujourd'hui, tu dis que la musique: c'est la vie, que tu ne pourrais plus t'en passer, mais tu dis aussi que ce n'est pas la relation la plus saine?
Aime Simone: Peut-être, dans le degré d'investissement, il y a une forme de dévotion presque à la musique. C'est-à-dire qu'on la vit, on la respire, elle nous obsède, parfois elle nous mène en bateau. Ça peut être très frustrant de créer et en même temps, elle nous offre beaucoup, beaucoup de choses. Elle nous permet de transcender un peu notre vie quotidienne, notre réalité et nos limites.
RadioFr: J'aimerais remonter en 2020, en pleine pandémie, où ta musique s'est étendue jusqu'en Ukraine, des DJ ont remixé tes morceaux, ta musique est devenue quasiment un hymne là-bas. J'imagine qu'avec la guerre, toutes tes chansons ont pris une autre résonance aujourd'hui, une autre dimension. Ça doit être quand même toujours touchant et bouleversant tout ça?
Aime Simone: C'est vrai qu'en 2020, c'était la pandémie, donc il n'y avait pas encore le contexte de la guerre, mais il y avait une chanson qui s'appelle "In This Dark Time", qui était la chanson que ces DJ dont tu parles avaient reprise et qui jouaient dans leurs soirées. Moi, c'était la première fois que je recevais des vidéos sur Instagram et sur les réseaux sociaux de gens qui chantaient mes paroles mot pour mot, des foules entières. Et je n'y avais pas accès parce que moi, j'étais en confinement à Berlin.
Et puis après il y a eu la guerre quelques mois plus tard qui a commencé. Et ensuite, je recevais des messages de gens qui disent j'écoute "In This Dark Time", je suis réfugié dans un métro sous les bombes. Et là, effectivement, on sent que la musique peut prendre différentes dimensions, différents sens aussi.
RadioFr: Tu as toujours ce lien avec l'Ukraine aujourd'hui, tu as toujours des nouvelles?
Aime Simone: Oui, j'ai toujours des liens, j'ai toujours gardé contact avec quelques DJ. Après, maintenant, c'est un pays qui est un peu sous pression, qui est fragmenté, qui vit une période très difficile, comme on le sait. Du coup, les liens sont plus compliqués maintenant et les communications, ce n'est pas comme avant.
Mais oui, j'ai gardé un lien et d'une manière générale, je garde les liens qui résonnent avec les gens qui résonnent avec ma musique, que ce soit des DJ, des fans, d'autres artistes.
RadioFr: Pour ce troisième album, "REV" tu avais un besoin de transformation, de voyage, d'émancipation. Du coup, il aborde trois thèmes, la révolution, la revanche et la révélation. Est-ce que tu peux un peu nous décrypter tout ça?
Aime Simone: Oui, alors "REV", c'est aussi la première syllabe de ces mots et de beaucoup d'autres d'une liste encore plus exhaustive de mots qui commencent par "REV", dont, révolution, revanche, révélation. En fait, ce sont les thèmes qui abordent ce concept-album qui a été écrit comme une fiction avec des personnages. Et du coup, l'épopée du personnage, son histoire, ce qu'il traverse dans cet album, ce sont des thèmes liés à la révolte, à la révolution et à la révélation.
Donc, c'est un humain en quête de sens qui essaie de se reconnecter à son humanité dans un monde qui est régi et qui est contrôlé par des robots et un système un peu asphyxiant.
RadioFr: Ça a aussi été assez expérimental pour toi. Je parle au niveau des différences de tessiture de voix qu'on peut entendre, aussi des mélanges de sons. On retrouve beaucoup de sons dans cet album, de la pop, du rap, du punk, trap, etc. Ça n'a pas été trop compliqué justement de ne pas se perdre quand on aborde tous ces styles différents?
Aime Simone: Non, je pense que se perdre, c'est presque le but. Voilà, c'est-à-dire qu'à un moment donné, il faut lâcher prise avec les idées qu'on a de nous-mêmes, notre propre son, notre propre vision des choses et aller à l'aventure et se laisser surprendre, effectivement.
Et là, comme l'idée était de chanter à travers des personnages et d'écrire à travers des personnages, il fallait tout de suite penser à comment incarner ces personnages. Et c'est là que je suis allé chercher des voix différentes. Par exemple, sur la chanson "Gore Mode", je rappe et j'ai une voix beaucoup plus grave. Je suis descendu peut-être un ou deux octaves plus grave que ce que je ferais naturellement. Au début, on va trop loin et puis à un moment donné, on essaie de le ramener vers soi un tout petit peu et on trouve une sorte d'équilibre, un juste milieu.
RadioFr: J'espère que je ne vais pas dire de bêtises, mais moi, dans "Taking My Distance", j'ai senti une espèce de volonté de rupture. Par contre, une rupture avec qui? Avec toi-même, avec le système, avec quoi exactement?
Aime Simone: En fait, tout au long de l'album, il y a une double lecture. Il y a celle de l'histoire de l'album, donc ces personnages, ces lieux. Par exemple, "Fast City", c'est une ville de l'album et tout ça. Et puis après, il y a les métaphores qui se cachent derrière cette histoire. Et ça, c'est plus en rapport avec moi et mon histoire à moi.
Il y a des messages cachés un peu. Et donc, dans "Taking My Distance", dans l'histoire de l'album, c'est le personnage qui veut s'enfuir du paradis artificiel qui a été créé par les robots pour contrôler les hommes, en gros.
Et il s'échappe pour essayer de retrouver une liberté. Après, moi, ça, ça a un sens et une interprétation qui est plus personnelle. Effectivement, à un moment donné dans ma vie, ces années récentes, j'ai voulu exercer une forme de rupture avec un environnement qui était peut-être toxique pour moi ou difficile.
RadioFr: Tu travailles avec Sonja Fix, qui est ta partenaire de vie, mais de création aussi. Est-ce qu'elle t'aide justement à canaliser certaines, peut-être j'ai envie d'employer le mot "obsession" que tu peux avoir ou au contraire, à les amplifier un petit peu artistiquement, à un petit peu te calmer dans la création?
Aime Simone: Je pense que Sonia, c'est aussi une artiste et dans ce projet, elle a fait les deux. C'est-à-dire que des fois, elle essaie d'aller chercher, d'attiser des choses nouvelles et un peu folles. Et parfois, au contraire, elle arrive à choisir et à bien les positionner dans la globalité du projet.
Son rôle, il est adaptable, il est flexible, il est en constante évolution en fait, puisqu'on est vraiment deux artistes qui travaillent ensemble, qui collaborent sur un projet commun. Et ce n'est pas juste ma directrice artistique ou quelque chose comme ça.
RadioFr: À l'époque aussi, tu abordais des thèmes tels que la santé mentale et les impulsifs, les luttes intérieures. Est-ce que de faire de la musique, est-ce que ça t'aide à justement poser des mots sur ce que tu vis ou au contraire, est-ce que ça peut peut-être aussi un petit peu raviver certaines blessures que tu as pu avoir?
Aime Simone: Je pense que c'est surtout thérapeutique quelque part, c'est-à-dire que la musique a toujours eu cette valeur-là d'exutoire. Elle permet de faire le processus de choses difficiles ou douloureuses et aujourd'hui, j'ai l'impression qu'au contraire, elle me donne une force et c'est d'ailleurs ce qu'elle cherche à faire.
Elle a vocation à ça, ma musique, c'est de donner de l'espoir et de la force et de la lumière aux gens qui traversent des choses difficiles. C'est de ne pas renier le contexte sombre de notre monde, de nos vies, de notre existence mais de ne pas non plus se focaliser là-dessus, de porter une sorte de lumière comme un guide pour elle faire. Moi, ma musique, elle me guide et j'espère que pour mes auditeurs, elle en fait autant.